Maria Casarès à Jean Gillibert
(extrait du courrier confié par Jean Gillibert à Michèle Venard et publié intégralement dans Présence de Jean Gillibert.
Le 7 juillet 1952
Cher Jean
J'ai reçu votre lettre la veille de mon départ, lorsque, seule à Paris, j'ai décidé pour me reposer avant d'entreprendre le voyage, de déménager tout dans l'appartement. Je n'ai donc pu y répondre là-bas, et une fois ici, les journées ont coulé sans m'en apercevoir. Je ne sais pas d'ailleurs ce qui m'arrive, je ne me retrouve plus; les fatigues de ces derniers temps ont épuisé toutes mes sources d'énergie intellectuelle et je vis depuis que je me trouve à Camaret, en état bovin. Je marche, je nage, je dévore n'importe quel aliment, je goûte le soleil, la pluie, le paysage comme d'habitude; -mais comment dirais-je ?-; toutes ces joies, tous ces plaisirs, je ne les ressens pas directement : j'ai seulement l'impression d'en contempler les effets chez quelqu'un d'autre, quelqu'un qui me serait tout à fait étranger.
Je travaille, cependant, toujours machinalement, comme l'on tricoterait, et l'idée de recommencer des nouvelles créations cet hiver ne m'effraie plus, comme à Paris lorsque j'y pensais, ne me touche en rien : l'hiver me semble lointain et presque impossible. Voilà où j'en suis ..........................
Cela suffit pour aujourd'hui; cette lettre devient une dissertation ou une conférence de Madame Dussane. Il est temps que je m'arrête.
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Je reçois des nouvelles de Camus; moral assez bas, mais je pense que c'est passager. Il a une grande confiance en vous et je le comprends : j'ai la même.
Travaillez bien, et ensuite, reposez-vous bien; vous en avez besoin. Je vous quitte. A très bientôt.
Maria
P.S Bérénice à Aix ? J'en pense beaucoup de bien. Mais quand ? Et où, exactement ?