Régis Gayrard comédien et animateur de la Compagnie du Tigre vient de mourir. Quelque temps auparavant, il avait écrit à la DRAC Ile de France, une lettre digne et belle qu'il avait laissé FéderCies libre de rendre publique ou non, et que nous avions publiée. Il n'avait pas le raisonnement imbécile de rendre le Service Théâtre responsable de son cancer. Il n'en est pas moins vrai que le mépris persistant dans lequel son travail était tenu lui rongeait le ventre.
Son long travail d'indépendant, de nomade, lui faisait évaluer les changements néfastes qui l'empêchaient peu à peu de gagner sa vie. Homme du terrain, il avait constaté, impuissant, la mise en place des mécanismes du verrouillage culturel. Il avait donc vu- lui qui n'était pas reconnu par les critères géopolitiques de la décentralisation et ceux de ses structures alliées- se restreindre, puis disparaître ses capacités de tournées théâtrales. Il avait compris que les négociations directes, les négociations sans intermédiaires, après le succès d'un spectacle Off Avignon, l'appréciation immédiate où l'acheteur dit "topons-là", n'auraient bientôt plus cours. Artisan brisé, il entonnait la chanson de Brassens avec une pointe de douleur : "la bande au professeur Nimbus est arrivée, qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement, chasser les dieux du firmament".
Les décisions technocratiques, sans rapport avec la vie des gens, le système de banalisation du culturel, de la diffusion grande surface, du clientélisme, lui ont fait la peau. Lui qui était issu d'un milieu simple, qui croyait au mérite, au travail récompensé, à l'équité, et qui jamais en vingt ans n'eut un sou d'argent public au titre de sa compagnie combattante, dépistait avec indignation les arguments tordus pour justifier de la chose, et entrait en grande colère. Il proposait des actions fortes et collectives, et aussi une mise en scène dérisoire et cruelle de sa propre situation : "s'enchaîner au radiateur de la DRAC ! ." Et certes, il y avait naïveté à imaginer encore que cela puisse être suivi d'effets.
Il voulait informer, dénoncer. Il n'était l'homme d'aucun consensus mou qui plaît, trop passionné et trop engagé dans la pratique théâtrale pour "composer habilement", seul comportement admis et éminemment petit-bourgeois. Quand la machine le broyait, il hurlait.
Que les appréciations ironiques sur les solos désespérés se taisent, que les nez tordus sur son dossier de presse s'allongent, (eh oui, les traces, l'histoire, un parcours…ça embête les anciens et les nouveaux diffuseurs sans mémoire et sans goût artistique), que les replets donneurs de leçons de stratégie, fameux coquins, s'écrasent de honte. La prise de conscience et l'énergie de Gayrard sont aussi celles de centaines d'artistes de compagnies condamnés à un mort programmée.
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