Tout à l’heure, dans le métro.
Compartiment « métissé ». Huit sièges.
À côté de moi, puis il se mettra en face, un jeune indien lettré lit un ouvrage en sanscrit. Sur l’autre banquette, trois chinois encombrés de paquets sont plongés dans un journal de paris de courses en idéogrammes et parlent fort entre eux. Une jeune femme noire et voilée lit avec lenteur une sourate du Coran dont je peux déchiffrer les caractères arabes tant ils sont écrits gros.
Arrivent deux jeunes filles, allemandes ou polonaises, maquillées, jolies, fraîches, souriantes et qui parlent un français balbutiant. Elles viennent s’asseoir près de moi pour me demander un renseignement.
Entrée musicale d’un accordéoniste roumain et de son camarade basané, âgés tous deux.
Et montent sous les doigts habiles les ritournelles populaires, des valses, entendues par Montand, des rengaines à la Prévert qui apportent tout à coup dans la chaleur poisseuse et malodorante du compartiment un parfum de nostalgie entraînante. Les feuilles mortes, Barbara, Les ponts de Paris…Je suis gagnée par l’émotion et regarde autour de moi. Les lecteurs sont dérangés par la musique et les gitans, et ils le montrent d’une manière excédée; les parieurs asiatiques restent bovins, l’œil vide et mâchent.
Bien sûr que ces musiques ne leur disent RIEN.
Mais aucun effort non plus pour essayer d’écouter, sentir le terroir où ils sont, en épouser l’âme.
Car, africaine, indien, chinois, réunis dans ce compartiment de hasard, ils vivent ici, en France. Accueillis.
Eux-mêmes, venus d’ailleurs, n’en ont pas moins une réaction de presque répulsion pour les saltimbanques en savates, une sorte d’hostilité alors que les moins cultivés d’entre eux restent amorphes.
Je pense aux Roms expulsés et à ces deux là qui continuent à nous parler en venant nous faire entendre à la sauvette les mélodies de nos pères.
Échange de sourires. Je mets en remerciement une pièce dans le porte monnaie sale qui circule. Les deux jeunes filles aussi.
Rencontre avec elles.
Fracture avec les autres.
Qu’est-ce donc «vivre ensemble » ?