Samedi 8 mai. Gare de Florence. 20h 15.
Des carabinieri sur le quai. Sauf à constater que la gare est surveillée, nous ne pensons rien de plus. Nous avons dix minutes avant que le train ne reparte.
Nous cherchons le bon compartiment et notre wagon-couchette pour Paris. Quel sera l’autre passager, la quatrième personne, avec laquelle passer la nuit ?
Nous montons tous trois, avançons pour trouver nos places.
Dans ce compartiment, un jeune homme allongé sur la banquette, enveloppé dans une couverture et appuyé sur les oreillers d’Artesia, se réveille en sursaut. Beau visage fin, membres longs, regard bridé. Il est monté à Rome et parle en anglais. Nous nous installons. Sa couchette est en haut. Il a un billet mais pas de bagages. Je lui demande d’où il vient. Il tait son pays d’origine. Nous partageons une orange. Il rit d’une de nos mini querelles : nous lui rappelons ses parents ! Nous le sentons intelligent, précis, lumineux. Il voyage seul, il a traversé, le Pakistan, l’Iran, est arrivé en Turquie, puis en Grèce, caché dans un container. Deux ans de périple. Il a des amis qui l’attendent gare de l’Est.
Arrivée bruyante, et à la réflexion soupçonneuse, du contrôleur qui nous réclame nos trois passeports. Comme à l’aller, le train passe par la Suisse. Nos papiers nous seront rendus demain matin.
Le jeune homme met sa tête entre ses mains. Il vient de comprendre que le train dans lequel il est monté ne le conduira pas directement en France. Il demande quel sera le prochain arrêt du train. Jacqueline le lui montre sur une petite carte de son calepin.
Il est abasourdi. Il sait maintenant qu’il ne peut rien faire pour se sauver.
Car tout va très vite. Le contrôleur revient avec les carabiniers. Christian dit «ça commence»; il est fusillé du regard. Le jeune homme est désigné. Il se lève sans résistance, et les suit sans tourner la tête. Élégant jusqu’au bout.
Nous restons médusés et patauds. Par la fenêtre du couloir nous voyons sur le quai une file de clandestins escortés par la police. Repérés à Rome, sans être informés du passage par Lausanne lorsqu’ils ont pris leur billet, les voilà arrêtés à Florence.
Le train partira avec retard et sans eux.
Nous parlons de la rencontre avec ce jeune homme, de sa détermination tranquille et de sa grâce.
Demain, il recommencera.
Prions pour qu’il s’en sorte.
Maintenant, nous sommes à Paris Bercy.
Quelques jeunes d’ethnies différentes manifestement en attendent d’autres.
Encore une fois, ceux de Rome n’arriveront pas.