21 décembre 1985
Chère amie,
Je voulais vous dire combien j'ai apprécié votre travail à tous. Il a confirmé ce que je pensais quand j'ai vu le Kafka. J'aime beaucoup la façon dont vous mettez les acteurs en"responsabilité" de jeu. C'est souvent très fort et peu usité dans le monde actuel formaliste et esthétisant du théâtre.
Peut-être il y a –t-il dans le texte sur cette étonnante aventure, par moments seulement, une volonté de prouver qui scande justement, mais ralentit la pensée au niveau de l'oratoire.
Bravo pour Christian qui a pris de l'ampleur et bravo aussi pour le jeune Lebovici, tendre et aigu, présence rare. Comme dirait Vautrin " à suivre."
Je vous embrasse. Jean Gillibert
l'autre théâtre
J'ai assisté à une représentation d' "Ubu Enchaîné" d'A Jarry, mise en scène par Michèle Venard à St Cyr l'école. C'est la première fois que je vois Jarry compris et interprété comme cela se doit. Le spectacle – qui est plus qu'un spectacle- est d'une force et d'une violence étonnantes, adéquates à l'écriture et à la pensée de Jarry et qui laisse définitivement de côté le côté potache, fête de fin d'année auxquels on nous avait habitués. Ubu – sa légende pataphysique – prend alors la dimension qu'il doit avoir, non seulement blesser le "bourgeois" et le "franchouillard" mais les élever au - dessus de leur lâcheté et leur turpitude.
J'ai vu plusieurs mises en scène de Michèle Venard. J'ai toujours été frappée par une exemplaire solidarité entre son travail d'animation et d'expression et le travail de l'œuvre. Pas de fioritures, d'imageries complaisantes, de gratuité et de bizarreries anecdotiques. Pas d'illustrations qu'on appelle en général "communications".
Michèle Venard, ses collaborateurs, ses comédiens, assènent avec générosité -c'est à dire amour- les vérités terrifiantes du poète "Jarry". Car Jarry est un poète. Ubu est une création poétique qui fonde son théâtre. Et c'est là l'essentiel. Si bien que nous quittons l'esprit totalitaire du spectacle pour être violenté et transporté dans les zones de passage où la pensée se quitte dans le corps, l'espace, le temps – zones de médiation, plus d'initiation que d'apprentissage (de formation) C'est corrosif, toujours juste, et encore une fois, toujours généreux.
Les costumes sont de vrais costumes pour des corps humains et non des "extériorités" savantes. Idem pour le décor. Idem pour la musique et l'éclairage. Les acteurs sont "forts" : le couple Ubu, mère Ubu en particulier, absolument étonnant par la vérité et l'imagination du jeu.
C'est une véritable et grande aventure théâtrale comme on en rencontre peu de nos jours
Ce spectacle ne doit pas être tenu à l'écart mais privilégié.
Michèle Venard est plus qu'un metteur en scène, elle est de la "race" des véritables médiateurs de l'art.
Aussi créatrice. J G
lettre de jean gillibert à un acteur
Cher Christian,
J'ai préféré ce petit mot à te téléphoner. Ce que j'ai vu d' "Ubu Enchaîné" est étonnant, comme pensée, comme art et comme travail !
Ce spectacle devrait être promu au premier rang même si dans la pièce, un côté potache et laborieux persiste toujours dans l'écriture.
C'est cependant la première fois que je vois un couple "Ubuesque" joué de cette façon où le charnel et la férocité se disputent leur part. Ce que tu fais dans " Ubu" est énorme et sans concession. Tu es devenu un très grand acteur, c'est à dire, un artiste. Et Bourduge aussi est étonnant !
Tout est "fort", la musique, le décor, les costumes. On ne peut faire de séparation entre ces éléments.
Tout "joue" la même chose.
Bravo pour Michèle !
Crois en ma fidèle amitié. Jean
PS Je n'oublie pas le courage que vous avez eu !
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